Le monde comme revendication
Le constat radicalement nouveau, au XXIème siècle, est que le monde ne va plus de soi : sa robustesse, sa pérennité, ne sont plus assurées. L’humain, devenu capable d’interférer avec les équilibres de la vie sur Terre, doit acquérir la capacité de faire en sorte que ses immenses pouvoirs aboutissent à autre chose qu’à sa propre destruction. L’humanité, temporairement dépassée par les conséquences de ses propres stratégies d’exploitation du globe, doit corriger cette déficience et faire du souci du monde sa priorité. La thèse soutenue ici consiste à penser que nous devons passer d’une culture du progrès,
qui sous-entendait la permanence du monde et se résumait au débat sur les modalités de l’exploitation optimisée du donné naturel, à une culture de l’espérance – une culture qui aura pleinement intégré la fragilité du monde et de son avenir sous influence anthropique, pour faire de cet avenir le souci essentiel de ses pensées, de ses sciences, de ses techniques, de son économie, de son art de vivre, de sa spiritualité – en un mot, de son humanité.
Une humanité réinventée, restructurée, recentrée sur un vivre ensemble praticable sur la longue durée, en concessionnaire et non en exploitant de la planète.
ISBN : 9782372631525
Format : 15,5 x 22,5
Prix TTC : 25 €
Jean-François Simonin est philosophe, spécialiste de l’anticipation. Il a fondé et dirige l’Institut du temps long (ITL), laboratoire d’idées et d’expérimentations philosophiques et prospectives sur les enjeux de long terme. Ses travaux introduisent à une nouvelle conception de l’action en contexte anthropocène.
Il est l’auteur de La Tyrannie du court terme, Quels futurs possibles dans l’anthropocène ? (Utopia, 2018) et L’Innovation frénétique et Construire ou déconstruire le monde à l’heure du numérique (Liber, 2020).
Extraits
La prise de conscience de l’entrée dans l’anthropocène occasionne une sorte de déflagration dans les esprits. C’est le genre de « concept obus » qui vient brutalement percuter la majeure partie des certitudes antérieures à cette prise de conscience. Mais le concept anthropocène procure aussi une sorte de cohérence à de nombreux doutes et incertitudes que chacun pouvait avoir, en fonction de ses connaissances et expériences personnelles, quant au fonctionnement actuel et au devenir de la civilisation occidentale. n radicalisant le diagnostic sur l’état du monde et en pointant plusieurs impasses biogéophysiques de nos modes actuels d’existence, non seulement il jette un discrédit violent et massif sur l’idée de progrès, mais il réinterroge en profondeur les rôles, responsabilités et perspectives de l’espèce humaine sur cette Terre, tant à titre individuel que collectif.
On oublie trop aisément que la liberté ne peut s’élever que sur la responsabilité. La seconde est le fondement de la première. C’est par un surcroît de responsabilité que j’acquerrai un surcroît de liberté. C’est en élargissant ma responsabilité à l’échelle du monde que j’élargirai ma liberté au périmètre du monde. La conscience du monde se faisant, et le sentiment de ma responsabilité dans ce mouvement, sont les leviers de l’augmentation de mon être au monde.
Ce n’est pas parce que notre pouvoir technologique, la mondialisation et la numérisation– phénomènes très complexes, donnant le sentiment de nous « dépasser » – modifient le monde, que notre responsabilité doit s’en trouver désamorcée. Bien sûr que nos actes ont des implications qui vont au-delà du présent et qu’ils affecteront des êtres dont nous ignorons l’existence à ce jour. Mais il n’est pas impossible d’envisager des sédimentations et des métabolisations profitables, en direction de fins civilisationnelles attractives, améliorant aussi les conditions de l’existence humaine. Le fil conducteur de la responsabilité prospective qui aura à juger de ce qui peut être fait s’organisera autour de ce sentiment de solidarité organique – sentiment qui recouvre à la fois l’appartenance au vivant et la reconnaissance d’un destin commun planétaire élargi au vivant et au non vivant.